Au pied des forêts de Villaroger, sur les pentes qui font face à Tignes et Saint-Foy, Anémone Marmottan a troqué depuis quelques années son dossard de skieuse professionnelle contre la blouse de fermière. Reportage.
Dans la ferme familiale, fondée par ses grands-parents puis reconstruite par sa mère dans les années 1990, elle perpétue avec son frère un savoir-faire ancestral : la fabrication du Persillé de Tignes, un fromage unique mêlant lait de vache et de chèvre, témoin d’un pan de l’histoire alpine aujourd’hui disparu.
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« Quand on naît dans une ferme, on a vite un pied dedans » sourit Anémone. Enfant, elle donnait déjà un coup de main, entre les bêtes et la fromagerie, avant de partir vivre sa carrière de sportive de haut niveau.
Mais le retour aux sources s’est imposé comme une évidence. « Ce lien avec la nature, je voulais l’offrir à mes enfants, avec un quotidien simple et vrai, même si ce n’est pas toujours facile. »
Charlemagne adorait le persillé de Tignes
Le domaine, perché à 1 600 mètres d’altitude, se partage entre des pâturages pour les vaches, installées sur les terrains plus accessibles, et des versants abrupts où seules les chèvres peuvent se faufiler.
Deux fois par jour, été comme hiver, les traites rythment les journées. L’hiver, les bêtes restent à l’abri des murs de la ferme ; l’été, elles partent en alpage, jusqu’à 150 hectares parcourus sous l’œil attentif de la famille.

Le Persillé de Tignes, qu’Anémone et sa famille sont aujourd’hui les seuls à fabriquer, plonge ses racines dans le « vieux Tignes », englouti dans les années 1950 lors de la construction du barrage du Chevril.
« À l’époque, les habitants vendaient leur production directement à Tignes, raconte-t-elle. Le mélange des laits se faisait naturellement : les vaches dans les prés, les chèvres et moutons sur les pentes raides, et le soir tout était réuni dans le même chaudron. »
Une tradition menacée de disparition, qu’elle s’attache à maintenir vivante. Selon une légende locale, Charlemagne lui-même aurait goûté ce fromage et demandé à en faire venir jusqu’à sa cour d’Aix-la-Chapelle. Des archives mentionnent même des tonnages exportés à l’étranger.
en mémoire du village englouti
Aujourd’hui, la ferme travaille avec des affineurs mais aussi avec la Maison Bouvier, grande référence de la gastronomie alpine, qui valorise ce trésor local dans ses restaurants et son épicerie fine.
« Ils viennent régulièrement à la ferme avec leurs équipes pour voir d’où vient le produit. C’est important que les gens comprennent tout le travail derrière chaque meule » insiste Anémone.

L’ancienne skieuse, qui a grandi dans les pas de sa mère et de son frère, poursuit cette aventure agricole avec la même détermination que sur les pistes.
Entre deux traites et les soins aux bêtes, elle s’impose comme l’une des rares gardiennes d’un patrimoine fromager unique, intimement lié à l’histoire et aux blessures du territoire.
Car derrière chaque morceau de Persillé de Tignes se cache la mémoire d’un village englouti, de familles déracinées et d’une vallée marquée par l’exode. « C’est une plaie encore ouverte, reconnaît-elle. Mais à travers ce fromage, on garde un lien avec ce passé. »